Madeleine ROBINSON

 

La rigueur et la passion

 

 

Son vrai patronyme est Svoboda, lequel en tchèque signifie liberté.  Elle ne peut porter nom plus approprié.  Comédienne dotée d'une très forte personnalité, on lui reconnaît une totale liberté d'expression, celle de dénoncer les travers de sa profession, d'avoir tracé son parcours artistique sans aucune compromission.

Elle brille au théâtre.

Elle y est sublime.

 

Actrice d'exception, elle joua 1480 fois "Adorable Julia".  Aujourd'hui, notre adorable Madeleine goûte un bonheur mérité au bord des eaux tranquilles du lac Léman.

 

 

 

 

 
 

 

 

Madeleine Robinson naît le 5 novembre 1917, rue Jacob, dans le 6ème arrondissement de Paris.

Elle est la seule fille des quatre enfants de Victor et de Suzanne Svoboda, émigrés tchèques arrivés jeunes mariés à Paris.

Madeleine et ses frères grandissent au Pré-Saint-Gervais, dans la banlieue nord-est de la capitale. 

Le papa est un brillant pâtissier, la maman est receveuse de tramway. 

Le couple, mal assorti, se sépare lorsque Madeleine atteint ses dix ans.

 

Son enfance se passe pauvrement, dans le dénuement.  La mère et les enfants logent dans deux minuscules pièces d'un troisième étage sur cour.

Madeleine travaille très tôt dans une usine de séchoirs électriques et comme vendeuse de journaux.

 

Elle tâte un peu le dessin, puis s'inscrit aux cours que Charles Dullin dispense au Théâtre de "L'Atelier".  Celui-ci, intrigué et intéressé par cette jeune fille trop maigre, portant un béret basque, l'autorise à les suivre comme auditrice libre car elle n'a pas les moyens de les payer.

Parmi ses condisciples, elle côtoie Jean Marais, Jean Vilar, Michel Vitold et Jacques Dufilho.

Dullin, qui devine un talent poindre, la fait travailler.

 

Pour arrondir ses fins de mois, elle pose pour des photos publicitaires et, comme ses camarades, fait de la figuration au cinéma.

Son premier engagement est pour Tartarin de Tarascon.  Son nom n'est pas cité au générique, et pour cause !  Elle "figure" à une table de jeu à la gauche du grand Raimu.

 

Elle a 19 ans lorsqu'elle tourne son premier film important : Le mioche, de Léonide Moguy.

Elle incarne une petite ouvrière qui a un bébé d'un jeune étudiant, lequel les quitte tous les deux.  Désespérée, à son tour, elle abandonne l'enfant.

C'est très mélo, mais sa prestation est appréciée et sa carrière cinématographique prend son envol.

Parmi ses meilleures prestations, nous pouvons citer Lumière d'été de l'exigeant Jean Grémillon.  Le film est tourné en Haute-Provence.  Elle incarne une jeune fille éprise d'un ouvrier du barrage en construction.  L'ouvrier est beau garçon, sportif et téméraire, il s'appelle Georges Marchal.

Notons aussi Une si jolie petite plage, un film noir, extrêmement pessimiste d'Yves Allégret, dans lequel elle interprète une ex-pupille de l'Assistance publique, utilisée comme servante dans un hôtel d'une plage du Nord.  L'histoire relate la rencontre de deux paumés, l'autre étant Gérard Philipe, au plus profond du désespoir.

Avec Le garçon sauvage, tiré d'un roman d'Edouard Peisson et brillamment dialogué par Henri Jeanson, elle obtient la "Victoire de la meilleure actrice 1951" pour son rôle de prostituée partagée entre son jeune fils et son protecteur.

Elle se retire du milieu avec Minuit, quai de Bercy, en incarnant une ex-prostituée qui finit par se suicider.

En 1959, Claude Chabrol en fait l'épouse trompée de Jacques Dacqmine dans A double tour.

Sa brillante interprétation lui vaut le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise en 1959.

Dans Le procès, son rôle auprès d'Anthony Perkins est court, mais elle est dirigée par un Orson Welles au mieux de sa forme et cela compense bien des choses.  Citons encore Le gentleman d'Epsom qui lui vaut le plaisir de retrouver Jean Gabin,  J'ai épousé une ombre où elle incarne une belle-mère conquise par le charme trouble d'une émouvante Nathalie Baye.

En 1988, sous la direction de Bruno Nuytten, elle interprète la mère d'Isabelle Adjani, laquelle s'investit fiévreusement dans le tragique destin de Camille Claudel. 

 

Sans renier ses succès cinématographiques, sa préférence va à son actif théâtral.

Nous ne pouvons pas tout citer, alors plaçons  en exergue Une grande fille toute simple que lui écrit André Roussin.  La pièce a pour cadre le théâtre.  Stepha, le personnage principal, est à certains égards, une copie de Madeleine.  La pièce est créée au Casino des Fleurs à Cannes en 1942 par la compagnie Claude Dauphin, par ailleurs l'un de ses meilleurs amis, et reprise à Paris durant l'hiver 44-45.

Cette pièce connaît un énorme succès et le cinéma l'adapte en 1947.  Une autre Madeleine (Sologne) hérite  du rôle tenu par notre Madeleine.

Citons La dame de trèfle de Gabriel Arout; La soif de Henry Bernstein qu'elle crée en février 1949 avec un Jean Gabin qui attend la rencontre providentielle avec Jacques Becker pour son grand retour au cinéma; Le secret du même Bernstein; Tchin-tchin de François Billetdoux; Colombe de Jean Anouilh; Un tramway nommé désir de Tennessee Williams; Noix de coco de Marcel Achard...

Citons, bien évidemment, son grand succès :  Adorable Julia  de Marc-Gilbert Sauvajon, qu'elle crée en septembre 1954 au Théâtre du Gymnase avec Maurice Teynac et qui, au fil des reprises et des tournées, lui vaut de nombreux changements de partenaires.

Avec Madame Marguerite de Roberto Athayde, elle succède à Annie Girardot au Théâtre Montparnasse, mais le public boude la reprise et les représentations s'arrêtent après un mois; Le locataire de Joe Orton avec Daniel Colas et Harry Max; La folle de Chaillot de Jean Giraudoux, à ce jour sa dernière prestation.

 

Elle effectue de nombreuses tournées avec les Karsenty.  Elle se rend en Amérique du Sud.  Elle se joint aux "Tréteaux de France", le chapiteau dirigé par Jean Danet.  Elle parcourt la Russie, les pays de l'Est, l'Iran, le Liban avec retour par l'Italie pour y présenter, à son initiative, une anthologie des grandes scènes du répertoire français classique et romantique, de Molière à Becque.

 

Et puis, bien sûr, cette pièce remarquable, difficile, incisive et violente   Qui a peur de Virginia Woolf ?  d' Edward Albee au Théâtre de la Renaissance en 1964.

A son grand regret, Claude Dauphin, pourtant à l'origine du projet, ne peut être son partenaire. Michel Vitold obtient le rôle, mais déclare forfait en cours de répétitions au profit de Raymond Gérome.  Si la pièce connaît un très grand succès, largement mérité, elle est douloureusement conçue dans un climat conflictuel permanent.  Un profond désaccord sur l'éthique du comédien surgit entre Madeleine et Gérome.

Les journaux de l'époque s'en font les gorges chaudes.  La pièce tient l'affiche de nombreux mois.

Si Véra Korène, la directrice, peut se féliciter du succès financier de la pièce, Madeleine en sort  moralement et physiquement exténuée et meurtrie.

Elle s'est longuement expliquée et défendue à ce sujet.  Nous ne pouvons que vous conseiller la lecture de son excellent livre de souvenirs Les canards majuscules (Ed. Robert Laffont) qu'elle  écrivit en 1978.

 

Besoin de repos, besoin de quiétude, Madeleine quitte Paris pour Ferney-Voltaire dans l'Ain, puis passe la frontière et emménage en Suisse en 1977.

Durant quatre ans, elle donne des cours d'art dramatique à Genève et à Lausanne.

Elle participe aussi à de nombreuses télévisions.  Citons ses plus récentes prestations : Nyne de Jean Pignol; Le dialogue des Carmélites de Pierre Cardinal; La mule de Corbillard de Claude Vajda; La sorcière de Conflens de Gérard Guillaume; Un été alsacien de Maurice Frydland; L'affaire Seznec d'Yves Boisset; La rage au coeur de Robin Davis; La récréation de Nicolas Ribowski; Novacek-La star de Babelsberg de Peter Goedel, etc.

 

Elle se marie la veille de Noël 1940 à la mairie de Marseille avec Robert Dalban de qui elle a un fils, Jean-François. 

Ce mariage fait suite à un pari stupide, Madeleine n'a pas suffisamment de mots pour qualifier l'insignifiance de son mari.  L'union est brève, mais le divorce ne sera prononcé que le 16 juillet 1946.

Elle convole en secondes noces le 16 avril 1947 à Chennevières-sur-Marne avec Guillaume Amestoy  dont elle divorce le 21 juillet 1950.

Deux mariages, deux échecs.  Il n'y aura pas de troisième tentative.

Durant trois ans, elle partage la vie de Jean-Louis Jaubert, le chef des Compagnons de la chanson, de qui elle a une fille, Sophie-Julia, née en mars 1955.  Julia, en référence à sa pièce porte-bonheur, Madeleine étant enceinte lors des représentations.

Il y a dix ans, un drame effroyable éclate dans la vie de la comédienne : Sophie-Julia décède tragiquement du Sida.  Elle venait d'avoir 38 ans.

 

Quittant Montreux, qui fut longtemps son refuge vaudois, c'est à son domicile de Lausanne qu'elle décède le 1er août 2004.   Elle y avait aménagé l'année précédente. En outre, elle avait opté pour la nationalité suisse.

 

Nous saluons l'extrême conscience professionnelle qui n'a cessé d'animer sa carrière.  Nous saluons sa rigueur et son profond amour du métier.

 

Raymond Chirat a dit d'elle : "C'est une bête de théâtre farouche, sincère, talentueuse, qui a su triompher grâce à son opiniâtreté et à sa passion des planches".

 

Quelque part, là-haut, le petit bonhomme voûté qui hante l'ex-place Dancourt à Paris doit se réjouir du parcours sans faute de son élève, de la grande fille maigre à l'éternel béret basque.

Combien doit-il être fier de "sa  Svoboda..."

 

 

FILMOGRAPHIE

 

1934  Tartarin de Tarascon, de Raymond Bernard, figuration.

1935  Les beaux jours, de Marc Allégret, avec Jean-Pierre Aumont.

1935  Promesses, de René Delacroix, avec Pierre Mingand.

1936  Le mioche, de Léonide Moguy, avec Gilbert Gil.

          L'assaut, de Pierre-Jean Ducis, avec Charles Vanel.

          L'homme à abattre, de Léon Mathot, avec Jean Murat.

1937  Nuits de feu, de Marcel L'Herbier, avec Victor Francen.

          L'innocent, de Maurice Cammage, avec Noël-Noël.

1938  La cité des lumières, de Jean de Limur, avec Daniel Lecourtois.

          Gosse de riche, de Maurice de Canonge, avec Pierre Brasseur.

          Grisou, de Maurice de Canonge, avec Pierre Brasseur.

          Le capitaine Benoît, de Maurice de Canonge, avec Jean Murat.

          Tempête sur l'Asie, de Richard Oswald, avec Conrad Veidt.

1940  La nuit merveilleuse, de Jean-Paul Paulin, avec Fernandel.

1942  Promesse à l'inconnue, d'André Berthomieu, avec Claude Dauphin.

          Lumière d'été, de Jean Grémillon, avec Georges Marchal.

          La croisée des chemins, d'André Berthomieu, avec Pierre Richard-Willm.

1943  Douce, de Claude Autant-Lara, avec Odette Joyeux.

1944  Sortilèges, de Christian-Jaque, avec Roger Pigaut.

1946  Le fugitif, de Robert Bibal, avec René Dary

          Les Chouans, de Henri Calef, avec Jean Marais.

1947  Le cavalier de Croix-Mort, de Lucien Gasnier-Raymond, avec Yves Vincent.

          Les frères Bouquinquant, de Louis Daquin, avec Albert Préjean.

          La grande Maguet, de Roger Richebé, avec Jean Davy.

1948  Une si jolie petite plage, d'Yves Allégret, avec Gérard Philipe.

1948  Le mystère Barton, de Charles Spaak, avec Fernand Ledoux.

          Entre onze heures et minuit, de Henri Decoin, avec Louis Jouvet.

1949  On ne triche pas avec la vie, de Paul Vandenberghe et René Delacroix, avec Jean Davy.

          L'invité du mardi, de Jacques Deval, avec Michel Auclair.

          Vedettes en liberté, court métrage de Jacques Guillon, simple participation.

1950  Dieu a besoin des hommes, de Jean Delannoy, avec Pierre Fresnay.

1951  Le garçon sauvage, de Jean Delannoy, avec Pierre-Michel Beck.

          L'homme de ma vie, de Guy Lefranc, avec Jeanne Moreau.

          Seuls au monde, de René Chanas, avec René Lefèvre.          

1952  Je suis un mouchard, de René Chanas, avec Paul Meurisse.

          Minuit, quai de Bercy, de Christian Stengel, avec Erich von Stroheim.

          Leur dernière nuit, de Georges Lampin, avec Jean Gabin.

1953  L'affaire Maurizius, de Julien Duvivier, avec Daniel Gélin.

1954  Les chiffonniers d'Emmaüs, de Robert Darène, avec André Reybaz.

1955  Le couteau sous la gorge, de Jacques Séverac, avec Jean Chevrier

          Les possédées / Le piège, de Charles Brabant, avec Raf Vallone.

1956  Mannequins de Paris, d'André Hunebelle, avec Yvan Desny.

1957  Les louves, de Luis Saslavsky, avec François Périer.

          La bonne tisane, de Hervé Bromberger, avec Raymond Pellegrin.

1958  Péché de jeunesse, de Louis Duchesne et René Thévenet, avec Agnès Laurent.

1959  Les arrivistes, de Louis Daquin, avec Jean-Claude Pascal.

          A double tour, de Claude Chabrol, avec Jacques Dacqmine.   

1960  Le goût de la violence, de et avec Robert Hossein.

          La croix des vivants, d'Yvan Govar, avec Karl-Heinz Boehm.

1961  Léviathan, de Léonard Keigel, avec Louis Jourdan.

          Giorno per giorno disparatamente, d'Alfredo Giannetti, avec Tomas Milian.

1962  The trial / Le procès, d'Orson Welles, avec Anthony Perkins.

          Le diable et les dix commandements, sketch "Tes père et mère honoreras", de Julien

          Duvivier, avec Alain Delon.

          Le gentleman d'Epsom, de Gilles Grangier, avec Jean Gabin.

          La salamandre d'or, de Maurice Régamey, avec Jean-Claude Pascal.

1963  Voir Venise et crever / Agent spécial à Venise, d'André Versini, avec Sean Flynn.

          Un gosse de la butte / Rue des cascades, de Maurice Delbez, avec René Lefèvre.

1964  El juego de la verdad / Couple interdit, de José-Maria Forque, avec José Bodalo.

1965  Un monde nouveau, de Vittorio De Sica, avec Nino Castelnuovo.

          Piège pour Cendrillon, d'André Cayatte, avec Dany Carrel.

1966  Le voyage du père, de Denys de La Patellière, avec Fernandel.

1969  Le coeur fou, de Jean-Gabriel Albicocco, avec Michel Auclair.

1970  Aussi loin que l'amour, de Frédéric Rossif, avec Michel Duchaussoy.

          Le petit matin, de Jean-Gabriel Albicocco, avec Mathieu Carrière.

1977  L'amant de poche, de Bernard Queysanne, avec Bernard Fresson.

          On peut le dire sans se fâcher / La belle emmerdeuse, de et avec Roger Coggio.

1978  Siete dias de enero / Les sept jours de janvier, de Juan Antonio Bardem, avec Jacques

          François.

          Une histoire simple, de Claude Sautet, avec Romy Schneider.

          Corps à coeur, de Paul Vecchiali, avec Nicolas Silberg.

1982  J'ai épousé une ombre, de Robin Davis, avec Nathalie Baye.

1984  Hors-la-loi, de Robin Davis, avec Wadek Stanczak.

1988  Camille Claudel, de Bruno Nuytten, avec Isabelle Adjani.

1991  Schwarze Hochzeit, de Clive Donner, avec Kate Nelligan.

1993  L'ours en peluche, de Jacques Deray, avec Alain Delon.

 

 

© Yvan FOUCART pour Les Gens du Cinéma